Amicale des Anciens Internés, Déportés et Familles du Camp de Drancy

Tout semblait se taire par Raphaël Benoilid

(Texte paru initialement dans La Lettre de l’Amicale en1997)

Un Dimanche blafard, un peu blues, un peu spleen, un jour de Janvier ordinaire en somme.

Drancy, une banlieue parisienne morose et un peu paumée, comme tant d’autres, avec son aire de jeux, sa grande place, ses cafés, ses abris-bus, et son mal de vivre. De grands blocs de béton gris, colosses ternes et sans vie, désespérément communs, genre HLM décents tout juste, pour ces exclus qu’on tolère à peine.

Mais un silence déchirant, qui pleure et qui crie.

Et puis la vérité, celle qui dérange, celle qu’on élude, celle qu’on chuchote, celle qu’on cache, celle enfin qu’il faut à tout prix assumer et transmettre de peur qu’on l’édulcore, qu’on l’oublie tout doucement, sans le faire vraiment exprès, ou pire encore, qu’on la révise.

Ces gratte-ciel anodins furent autant de visages de l’enfer terrestre dans lesquels une multitude de juifs, – même ceux qui pensaient ne plus l’être ou qui avaient fini par l’oublier – furent déportés, dans des conditions inhumaines, pendant des mois, voire des années, interminables. Tous dépositaires de la même angoisse, de la même attente, pourtant effrontément teintée d’espoir, de « I’après-Drancy ».

Et de fait, le camp de Drancy fut bel et bien, de 1940 à 1945, une de ces « antichambres de la mort ». En témoignent, s’il le fallait, les rails de chemin de fer qui relient le Monument mémorial au

Wagon. C’est le « chemin des martyrs » selon la terminologie de Shelomo Selinger l’homme fondateur du mémorial, qui a su resignifier la souffrance de nos parents en termes de vigilance et de recueillement.

Un monument donc d’abord, illisible sans directives parce que trop chargé de sens : la mézouza, les téfilins, les 36 justes qui soutiennent le monde, mais surtout la détresse, la déception, et la déchirure d’un peuple qui reste malgré tout obstinément, et précisément à cause de cela, attaché à ses traditions et à ses valeurs. Illisible sans doute aussi, parce que la souffrance est indicible et ineffable, parce que la folie humaine dépasse toute représentation sensible.

Mais surtout, des témoignages dignes et ô combien précieux, de ces personnes aux rides maintenant creusées par la vieillesse et par le poids de leur histoire, de l’Histoire juive, qui essaient tant bien que mal de narrer sur un ton léger, un 23 juillet 42.

Nous sommes les derniers dépositaires de ces témoignages vivants et vécus. Bientôt, la transmission, qui est notre devoir et notre responsabilité sera l’ultime véhicule du souvenir. Sachons trouver les mots et le courage d’en parler et n’oublions pas : tout semblait se taire.


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