Compte rendu des visites de Varsovie – Treblinka – Majdanek – Lublin – Auschwitz – Cracovie par la classe de Terminale du Lycée Merkaz du Raincy (93) par Judith Vaniche
Merci, au nom de l’ensemble de la classe, d’avoir permis la réalisation d’un voyage fondamental et ancré en chacun pour notre vie ! Car couplé à la découverte des camps, ghettos, lieux de massacre, nous découvrons également l’histoire de dizaines de juifs. Des histoires qui nous ont fait ressentir une énorme admiration et une affection pour ces femmes et ces hommes, qui ont vécu cette horreur, et qui ont réussi à garder une lueur d’humanité.
A mes yeux, les héros ne sont pas ceux qui se sont révoltés au ghetto de Varsovie ; pas seulement, en tout cas. Les héros, ce sont ces milliers de prisonniers, qui sont parvenus à continuer de vivre en ayant perdu leurs parents, leurs enfants, leur foyer, leur nom ; en subissant constamment la faim, le froid, l’épuisement, de façon mortelle. En faisant face à cette bestialité, à cette déshumanisation, avec un cœur de pierre. De façon à ce que chaque minute soit une souffrance et une lutte, qu’un seul faux pas dans les camps soit une condamnation à mort. Et malgré cela, ils ont vécu autant que possible, ils n’ont pas plié l’échine, toujours poussés à accomplir leurs mitzvot (commandements), comme étincelle de leur identité conservée : en sacrifiant leur ration de pain pour des pommes de terre afin de respecter la fête de Pessah, en utilisant leur margarine en infime proportion pour allumer les bougies de Hanoucca, ou en ayant réussi à préserver une paire de tefilin.
Notre voyage commence à Varsovie ; le ghetto, le cimetière juif, l’unique synagogue ayant survécu à la Shoah parmi des centaines, utilisée comme écurie par les nazis. Cette même synagogue sur laquelle un polonais a lancé un cocktail Molotov il y a quelques semaines. Comment comprendre cet antisémitisme ? Plus que les raisons qui ont poussé l’humanité à de telles extrémités, c’est bien la nécessité de se souvenir que nous devons retenir aujourd’hui. Les survivants de la Shoah se sont battus pour vivre, jour après jour, minute après minute, pour pouvoir sortir de l’horreur et témoigner. La nécessité de raconter les dévorait, bien qu’après la guerre, ils ne trouvèrent pas d’oreille à l’écoute.
Aujourd’hui, lorsque que nous visitons ces lieux, le cœur serré, étreint par l’émotion, essayant d’appréhender par la raison ces choses dépassant notre imagination, ce n’est pas pour comprendre d’où venait cet antisémitisme, quelles en étaient les raisons ; comme le disait Primo Levi, “comprendre, c’est presque justifier.” Mais nous ancrons en nous ces sentiments indescriptibles afin de se souvenir, profondément ce ce qui s’est passé. Se souvenir de chaque vie qui a été sacrifiée, ou de chaque survivant qui a perdu tout ce qu’il avait. Se souvenir de ce que l’humanité a fait.
Nous visitons le ghetto de Varsovie, où des héros ont combattu, où des juifs ont essayé d’en sauver d’autres, l’un fournissant du travail, l’autre faisant jouer de son influence pour empêcher un nazi de tuer un homme en train d’étudier. Le ghetto où beaucoup sont morts d’une manière atroce … Mais également le ghetto où, à la veille de kippour, une file attendait de pouvoir se tremper au mikvé, malgré l’interdit et le danger de mort. Lorsqu’on visite ces lieux, on entend ces histoires qui nous bouleversent sur une personne, sur une famille, une vie. Nous réalisons qu’il est impossible d’appréhender 6 millions de juifs, les 30 000 personnes passées par le ghetto de Varsovie, les 900 000 juifs assassinés en moins d’un an à Treblinka… et que ce n’est qu’en étudiant la Shoah individuellement, personnellement, que nous pouvons essayer de se rapprocher de cette monstrueuse réalité.
Comprendre ce que nous ne comprenions pas …
Ce voyage nous a toutes changées d’une manière différente, par bien des aspects. Nous avons été amenées à entendre des histoires, des faits, les conditions de vie dans les ghettos et camps, le fonctionnement minutieux de cette atroce machine ; et à nous poser des questions. Nous réalisons qu’il est impensable de se dire qu’ils ont été conduits “comme un troupeau à l’abattoir”, qu’ils n’ont même pas été capables de s’échapper, ou d’essayer. Nous savons bien que ce n’est pas dans la nature humaine de savoir faire face à un fusil, à la menace de mort ; nous perdons nos moyens, nous sommes paralysés. Alors comment imaginer penser à s’échapper, alors que les camps sont aussi bien surveillés, que se faire attraper, c’est être exécuté, avec des conséquences sur sa famille et son baraquement ? Comment penser à s’échapper, lorsqu’il est impossible de réfléchir ni de ressentir quoi que ce soit, consumé par la faim, le froid, l’épuisement, et tous ces autres supplices que nous ne pourrons jamais connaître ? C’est ce que nous comprenons en rentrant dans ces camps entourés de barbelés, de miradors, certains si conformes à notre imaginaire et pourtant nous procurant des sentiments si nouveaux.
En voyant défiler ces images des victimes, dont la durée de vie dans les camps est de quelques mois pour la plupart…
Le second jour, nous foulons le cimetière des 900 000 morts de Treblinka, entre l’année 1942 et 1943. L’étonnement est total lorsque nous apercevons de la verdure, une agréable forêt, rien qui ne laisse présager l’horreur de cette machine à morts. Certaines en sont profondément touchées ; d’autres le sont davantage en rentrant dans les chambres à gaz aux traces bleutées, en apercevant un simple jeu de carte que les prisonniers ont créé, en parcourant le camp de Majdanek… Nous faisons face pour la première fois aux douches, puis viennent les terribles fours crématoires…
Le lendemain, nous sommes à Auschwitz. Un camp bien différent, une fois encore, par l’aménagement qu’il a subi, son rôle de musée : nous voyons les milliers de tefilin, la vaisselle, les chaussures, les nattes des filles et femmes, chaque élément signifiant tellement. Il est extrêmement difficile de décrire ce que l’on ressent, on essaie d’imaginer, mais on ne peut simplement pas. Nous observons ces photos, ces familles qui descendent du train, ce film sur leur vie avant la guerre nous présentant quelques images de jeunes personnes souriantes, en train de vivre purement et simplement, et qui nous ramène si brutalement à la réalité. Une des salles ayant particulièrement touché la classe est celle dédiée à la reproduction de dessins faits par les enfants ; certains sont des dessins si purs et innocents, des princesses, d’autres sont des morts…des dessins envoyés à leur mère…
Nous réalisons également que le reste des personnes visitant le camp ne ressentaient pas les mêmes choses que nous ressentons, et notre guide nous confia qu’elle était était très touchée par la sensibilité du groupe.
Un voyage qui nous aura encore plus soudé à quelques semaines de notre BAC, et à l’aube de notre vie adulte …
Durant ce voyage, la classe s’est montrée particulièrement soudée et unie. Nous avons chanté des chants de renforcement devant le lac des cendres à Auschwitz, témoin de l’apogée d’une cruauté infinie, alors que ces milliers de juifs, après avoir tant souffert, sont gazés et brûlés… Ces moments ont été particulièrement émouvants pour certaines ; pour moi, ils représentaient une victoire contre l’acharnement. Nous étions sur les lieux, et nous chantions en hommage aux disparus, comme prolongeant l’éternité d’un peuple. Nous avons vécu ces moments uniques où nous pouvions à la fois être témoin de la destruction du judaïsme en Europe de l’est, et à la fois célébrer ce qu’il en est resté.
Réaliser ce voyage a permis à la classe de se reconnecter avec sa propre histoire, celle de nos familles, mais surtout, d’en découvrir une partie !
C’est ainsi qu’une fille a découvert qu’un membre de sa famille avait vécu la Shoah et les camps, seulement en rentrant de Pologne. Une autre a pu entendre l’histoire à Auschwitz d’Alfred Nakache, un nageur français nationalement connu, dont elle apprendra en rentrant qu’il était un membre proche de sa famille. Le surnommé “nageur d’Auschwitz” a été dénoncé et déporté depuis le camp de Drancy avec sa femme et sa fille, qui perdirent la vie. Notre guide nous parla de ses exploits ; un nazi l’obligea à aller récupérer, ligoté, un poignard jeté dans un bassin, qu’il attrapa avec ses dents ; affrété à l’infirmerie, il détournait des aliments pour les malades. Sa constitution physique particulière, et sa “volonté d’en sortir, de ne pas manger d’immondices ou de cadavres malgré la faim” lui permirent de rester en vie.
Notre accompagnatrice elle-même nous raconta comment elle avait réussi à avoir son frère au téléphone juste avant de rentrer à Auschwitz, afin qu’il lui raconte l’histoire de sa famille pendant la Shoah.
La plupart des filles de ma classe ont également été surprises d’apprendre qu’il existait un camp d’internement en France, Drancy, et que la plupart des trains partaient de Bobigny ; notre école étant située au Raincy, juste à côté. Là encore, notre guide à Auschwitz nous a donné plusieurs informations et chiffres à propos de cette terrible déportation depuis la France…
Une camarade d’origine « ashkenaze » nous confia que la Shoah était un sujet présent dans leur famille depuis l’enfance, ils en ont été extrêmement touchés ; malgré cela, malgré tous les livres lus à ce sujet, toutes les discussions sur la Shoah, être présente sur place s’avéra entièrement différent pour elle. Pour tout le monde, c’était une perception, un sentiment qu’on ne peut retrouver nulle part ailleurs. On savait que ça serait fondamental, et on en est ressorties différentes.
Mon grand-père est né durant la Seconde Guerre mondiale à Paris. Son père avait été arrêté dans la rue, amené au camp de Drancy, puis déporté à Auschwitz, en 1942. Je ne m’étais jamais réellement intéressée auparavant à son histoire et au déroulement des faits, et je l’ai regretté. À Auschwitz, dans le livre comportant les noms des 4 millions de victimes juives identifiées, j’ai moi-même retrouvé le sien, avec émotion. À l’occasion de Yom Hashoah, j’ai découvert les détails de sa vie en France, de sa déportation. Le fait que sa dernière pensée, sa dernière volonté ait été pour la brit mila, m’a fait réfléchir, et représente pour moi tous ces petits actes infiniment admirables de chaque juif ayant traversé la Shoah.